Grégoire

Cet article est la traduction en français de Grigore, le prénom roumain pour Grégoire.

Grigore est né en 1906. Il vit dans une petite maison proche d’un vieux noyer et il a peur du tonnerre quand l’orage gronde. Il vit à Piatra Albă (La Pierre Blanche), dans l’ancienne maison familiale, qu’il a déplacée sur la colline voisine. L’ancienne maison était plus proche de la rivière, et était voisine de celle du vieux Crihan. Grigore a déplacé sa maison pour la rapprocher de la route. C’était un peu avant la grande guerre et il l’a déplacée à l’aide de huit paires de bœufs. La maison se trouve à environ 50 mètres de la route à laquelle on arrive par un petit chemin pavé, qui traverse le vignoble.

Il est marié à Stanca qui prend soin du ménage. Il est d’une constitution fragile, de taille moyenne, et sa petite moustache était toute blanche en 1980. Mais il est agile : il peut facilement monter dans les arbres à 70 ans et nous allons ensemble cueillir des poires ou des cerises. Dans le jardin que nous avons dans la vallée, il y a un poirier qui nous donne des poires de la variété „turques”. Près du poirier il y a un cerisier à bigarreaux et nous allons souvent, ensemble, à un autre cerisier sur le „Dosatului”. Lorsque nous allons cueillir les cerises, il porte des bas en laine épaisse qu’il porte même en été car il a toujours froid. L’hiver il regrette régulièrement d’avoir construit dans la maison des chambres au plafond trop haut et dit que c’est pour ça qu’il fait froid dans sa maison. Il s’installera plus tard dans la petite cuisine (polata) dont la hauteur ne dépasse pas 1,70 m et où en plus, il y a un poêle.

Il porte toujours un chapeau et ses petits-enfants s’amusent à les plier pour en faire des chapeaux de „cowboy”. Il ne le remarque pas, ou plutôt fait semblant de ne pas s’en rendre compte. Le Vieux Grigore est très doux avec ses petits-enfants, bien qu’il ait été sévère avec ses enfants et sa femme, Stanca. Quand il se fâche, surtout avec Stanca, il dit d’un ton sévère et d’une voix très grave, qui contraste avec sa taille:
-Hm, qu’est ce que tu dis !? C’est toi qui parles ?

Sinon, je ne pense pas que quelqu’un l’ait jamais entendu être grossier, il utilise rarement même l’expression «le diable». Grigore est intelligent et éduqué; il écrit bien et dans sa jeunesse il écrivait  les lettres pour les gens du village. Il donne à présent des conseils à ses petits-enfants et leur suggère notamment de devenir instituteurs. Il faisait de même avec ses enfants et leur conseillait ce qu’il y avait de mieux, parfois en rigolant :
Telutza, serre ta ceinture car si tu laisses aller ton ventre tu ne pourras plus le rattraper !

Il est fier de ses enfants qui ont tous bien réussi dans la vie. Presque toute la famille vient visiter le village familial,  Odaile, chaque année,  au mois d’août, à la Sainte Marie. Des photos des enfants et des petits-enfants sont épinglées sur les murs de la maison, bien visibles à un endroit qui est une sorte de tableau d’honneur, proche des icônes.

Grigore est quelqu’un qui s’entend bien avec tout le monde et est souvent prêt à traverser tout le village pour aider les autres, pour s’occuper par exemple des ruches, car il est un grand amateur de miel. Dans le village, il va souvent visiter d’autres personnes : je me souviens en particulier de Ralita, sa sœur, et de son neveu Vergica. Il nous enseigne également, à nous, ses petits-enfants, les secrets des ruches, comment distinguer une reine des ouvrières ; et chaque petit-enfant a sa propre ruche. Et nous ne comprenons pas bien le rôle du faux-bourdon: il nous dit qu’il n’a rien d’autre à faire que de se tenir au côté de la reine (qu’il appelle la mère). Mais nous aussi nous voulons être de faux-bourdons! La reine s’occupe de la ponte des œufs et la plupart des abeilles s’occupent de la collecte du miel. Lorsque le nouveau miel est retiré, nous les enfants, nous mangeons les paillettes et buvons de l’eau jusqu’à en avoir mal au ventre.

Grigore est croyant et assiste toujours à l’office à l’église tous les dimanches, avec toute sa famille. Pour ne pas aller à l’église, me dit-il, il faudrait être souffrant au point de ne pouvoir se lever du lit en cas d’incendie. À l’église il occupe la fonction d’épitrope depuis l’époque où officiait l’ancien prêtre, Mitica, et il est très compétent en matière religieuse. Devant sa maison, il y a une croix votive et Grigore enseigne le Notre Père et le Credo à ses petits-enfants. Nous sommes fiers de réciter ce Credo ou le Notre Père à l’église avec nos voix encore fluettes, et nous pensons fièrement que nous connaissons bien d’autres prières. Nous connaissons même le Psaume 50 de David (bien que je ne comprenne pas encore le sens de phrases comme: „Alors nous sacrifierons des taureaux sur ton autel”) que nous avons appris dans le grenier.

Dans ce grenier, que les petits-enfants explorent en cachette, on trouve beaucoup de choses: des peaux de mouton, du maïs, des haricots, des raisins secs, de l’eau de vie et de nombreux vieux livres. Les livres ont tous un lien avec la religion ; nous les amènerons plus tard à l’église. Une partie de ces vieux livres, les petits-enfants les étudient dans le grenier, même si beaucoup d’entre eux sont écrits en caractères cyrilliques. Ce sera utile plus tard lorsque nous apprendrons le russe. Il y a dans ce grenier des livres que nous n’avons jamais vus auparavant: on y voit de belles gravures en rouge et noir, imprimées sur des feuilles épaisses qui sentent la cire ; certains des livres sont même recouverts de métal et on les ferme avec une sorte de cadenas.

Je me souviens encore du parfum de ces vieux livres, de la cire, de la laine et du bois sec dans l’air chaud des étés à Piatra Albă.

Grigore était mon grand-père.

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